Présentation

Nationale 164 – Avant le nuit de l’asphalte
Travail réalisé entre le mars 2022 et janvier 2023

Texte Victoria GRAVELAT
Photographie Ingrid BORELLI

Regards croisés sur les chantiers de la Nationale 164, destinés à transformer les derniers tronçons en 2×2 voies.
Un projet routier datant du Général de Gaulle, que l’état français et la région Bretagne ont décidé de finaliser.

A l’heure où les nouveaux projets routiers sont questionnés, nous avons arpenté l’un d’eux pour éprouver physiquement les transformations profondes du paysage.

Nous savions déjà d’où nous parlerions.
Nous sommes mi-terre, mi-humaines, mi-végétales…
Animales.
Sensibles aux enjeux écologiques, sociaux et poétiques.

Nationale 164 – Avant le nuit de l’asphalte

Texte de Victoria Gravelat

I. 5 et 6 Mars 2022

Vous avez un jour dit : ici.
Ce sera ici, et là.
Nous y planterons nos routes et nos drapeaux.
Dessinerons des champs de politiques horloges.
Croyant :
Opérer sans amour
Fuir la paresse du temps
Chasser du monde les détours.

D’écorces à écorchés,
On porte son corps.
On attend de tomber.
L’automne comme une porte de paradis.
Le froid est l’autre mot de leurs outils.
Et toi, l’arbre, son voisin,
tu meurs de ces saignées dont rien n’échappe.
Tu t’oublies et te rêves tranquille. Pauvre ami.
J’aimerais savoir écrire.
Leur écrire pour te décrire
Clamer, le corps fort et droit
Pour un droit de réserve, imaginaire et naturelle
Pour un droit d’être ici, et seulement pour soi.
De naitre. Et de n’être que soi.
De se savoir bois.
De poursuivre et hanter ce qui abat.

Ils ont écrit : « un Centre Bretagne Attractif ».
Les routes nous conduisent et ne disent plus rien du passé.
On passera dessus. Il est vite oublié.

Gravats silencieux.
Le vide résonne,
En cette matinée à la tristesse de pierres.
On a l’idée, pauvre ami, qu’un arbre sera toujours là.
Enraciné comme s’il ne partait pas.
Mais s’il pouvait disparaitre, le ferait-il sous terre.

Un Centre Bretagne Attractif.
Les mots, s’ils n’étaient des haches, seraient poésie.
Où se dessinent les traits de l’attrait ?
Les cellules travaillent à heures de chantier.
Et toi, l’arbre, tu demeures et t’amoindris.

Le chantier, vide, déborde de ses hommes.
L’ouvrier. Le conducteur d’engin. Le concepteur.
Et ses mille autres fantassins.
Et nos regards de mauvaises invitées.
Ca sent fort, et plus en dehors qu’en soi.
L’odeur du bois, déjà un peu mort.
Cet aspect de pierre qu’il emprunte.
L’arbre se défait en son empreinte.
Caméléon de fortune, pour se faire oublier, pour la paix,
Il ne regarde plus que ses pieds.

La route emporte avec elle son drame.
Komat’Su – déclarée en état de mort végétale.

Gris de peine. Sans fard.
Peine de grès et lourd fardeau.
Désert de lune.
Des airs de scène abandonnée.
Demain, nouvel acte.
J’aurais détesté l’Acte Premier.
Des airs de chambre dérangée.
Une grue, comme un mobile de nouveau-né, rythme l’espace d’un mouvement de
balancier.
Arrêt Machine,
des vermisseaux de fer jonchent le parquet.

Ou la Terre.
De ses jolis cheveux coupés.

Quelle magie.
Et quelle folie.
Des humains, de leurs mains,
remplacent un monde par une forêt de membres fantômes .
Et de devoir demeurer,
pour ce qui est déjà racine.
J’imagine:
Arracher et souhaiter le meilleur en sachant le pire.
Je marche, je me déplace, entre attention et désespoir,
Je cherche à me retenir pour ne pas me voir
Qui jetterais au vent
rêverais la fin du temps,
la fin des matins de misères.
Arrêt du vivant et Marche des machines.
Allons, finissons-en !
Admettons le progrès, de l’enfer le synonyme.
Le pollen des rêves était léger, volatil.
L’Éden, intranquille.

II. 19 et 20 Mars 2022

Ça fait un drôle de bruit, creux, la violence.
On entend, de l’intérieur d’une cloche,
le cerveau qui, en son propre crâne, ricoche.
Contre le monde qui se voudrait doux et lent
Contre les parois de fer
On est rendu sourd au domaine des simples
des vents de caresse
des changements de saisons qui seraient liesses.
Et notre tête, dans cette cloche, étouffe ses propres mots.
Bascule tes yeux et tu entreras dans leur idée de château.
La vie de seigneur c’est partir et arriver tôt.
Des humains déguisés en plus despotes que les rois,
Ont élu leur terrain de jeu.
En bons maîtres et soldats,
Ils ôtent les pattes, et les ailes, d’un insecte.
Pour voir ce qu’il en reste.

Malade de soi,
pour une partie géante de domino.
Domine-toi, idiot !
Les sans-voix s’échauffent
Et la lumière de cet œil est un feu de sous bois.
Tu cherches dans tes poches, un cahier d’excuses et de regrets.
Mais sur les marchés publics, l’acheteur joue tous les rôles.
Occupe cour et jardin.
Coupe court aux esprits de terrain.

Le chantier semblait, en boucle, toujours apparaître.
En allées de statues.
S’imposer .
Comme un éternel couloir de musée.
Arpenter le chantier était à l’oppose du défrichage, du jeu d’archéologie.
Le temps nous prenait à rebours.
Au cœur du réacteur, et de demain suspendu,
comme une menace et un pari d’avance perdu.
Une peur douce, d’enfant à demi éveillé, imprégnait l’air
Rythmait nos pas
lents et pressés à la fois.
Nous écoutions l’entre deux
le bâillement de porte
Pour dire : qui baille, respire.
On hésitait. Où aller ?
Où cela commence ? Et finirait ?
C’est un étrange carrefour aux yeux torves.
Nous craignions la surprise.
Considérer que le diable ne se cache pas dans les détails
mais dans l’espace qui les sépare.
était ce nécessaire ?
Cette question, on ne cessait de se la poser,
dans le silence de nos lèvres et la langue de nos pas.
Naïves et sincères.
Alors, oui, alors non.
Pas tout noir ou tout blanc.
Tu vois dans ce puits ?
Tu vois ce damier, au fond ?
Sur lequel on s’écrase.

Un arbre, découché de son habitat,
plie son corps pour une nouvelle posture d’horizon.

Il prie, front au sol,
qu’une chambre plus commode lui soit accordée.
Tombe, avec lui, emportant son rêve de maison.

Serpents de mer,
Ligotés à des piquets de grève.
L’ouvrage opère sa mue.
Et le chantier raconte qu’il n’est déjà plus.
Que si l’on tend l’oreille,
on entend, déjà, les voitures passer.
Pour des courses gagnées.
Du temps vaincu.
Du temps à perdre.
A perte de vie, on cherche à rejoindre le désir
qui, lui aussi, serait passé de l’autre côté de la barrière.
Impression de fosse commune.
Et pourtant les oiseaux chantent.
Qu’une fausse bonne idée des hommes se tait, le samedi, le dimanche.
Et le concert des oiseaux : peut-être qu’ils rient, qu’ils pleurent, qu’ils se moquent.
Se fondent en un chœur de comédie tragique.
N’auraient pas de peine pour eux-mêmes mais pour ces autres bêtes,
celles qui désirent voler sans ailes.
celles pour qui apprendre serait aussi oublier.
celles pour qui gagner du temps serait aussi le dépenser.

Fausse commune. Fausse cité.
La peur de l’avenir au ventre.
Vendredi a décimé et samedi, déploré.
Ce qui résonne et se lamente.
Sous les bâches, les fantômes qui n’ont pas été, ni vivants, ni morts.
Endormis dans leur absence aux corps.
Peut-être est-ce nous, projetées ?
Fantasme de condamnées. Coupables sans être complices.
D’avoir laisser, et finir, et commencer, le sale travail !

Des traces d’animaux et de machines. Traqués.
Le mouvement, qui défait, strie la Terre et révèle des visages enlisés.
Lande chaotique,
des coups d’épées dans l’eau.
Et dans le dos. Nous font avancer.

à nue et à flanc.
Sa face abîmée sera maquillée.
Les coups se recouvrent.
Mais les racines, à découvert,
souffrent de l’air et de la lumière comme de tristes vampires.
La Terre enfermait -ce que nous imaginions être- ses peintures rupestres.
Dévoilait visages d’ocre et de cendre.
Dans la matière, les trésors se plaisaient au secret.

Cadavre de bois, à la silhouette de chat.
Des os de branches, ou bien l’inverse,
figés dans cette imitation de lave coulée,
levaient les mains au ciel, gageant le ciel d’un oubli à verse.
Faites que l’on nous oublie – s’il en est encore temps.
Ils n’en eurent pas, pour un cri.
Ici, pâle copie d’Histoire
Ici, être saisi « en Pompéi » c’est ne pas avoir exister.
J’ai dit – comme ça.
Pour rire. Et pour pleurer.

De jeunes pousses naissent – pour rien .
Pour grossir les rangs d’une chair, ferme.
Usine à canons. Elles résistent, en rang.
Chiffrent une amère garnison.
Pour la guerre et pour d’arides moissons.

De quelle mémoire empruntons-nous le nom ?
De celui qui, ricochet, décoche sans écrire.
Tire une flèche et jamais n’atteint sa cible.
Le cœur gros, éclate.
Les éclats, du ciel, tombent en pavés.
La révolte s’assourdit. Puis, silencieuse, fredonne
ce chant de refus, en frêle filet,
Qui s’échappe et se défait,
emmaillé dans un lange de dossiers.
Les bois respiraient avant de se faire papiers.
Découpant le ciel, les panneaux paradent en tours de guet.

Nos pas dans les pas des engins.
Nous y glissions nos pieds pour nous y reconnaitre.
Colère de cette filiation
Ta voix me blesse – ni père, ni maître .
Écrire et croire, panser, réparer.
Entrelacs – saillies et percées.
Entre soi et l’Esprit du dimanche.
Autour de nos bras, soufflait une force lasse.
Ils se reposent et nous pouvions entendre chanter.
Le bruit de nos pas faisait musique de graviers.
Je traque et guette des mots qui diraient l’inverse du soin.
Une histoire de déviations.
Comme si nous pouvions, à loisir, déplacer le vivant.
A-t-on déjà pensé – à l’intérieur de soi –
Remplacer le poumon par l’estomac ?

Le ciel aussi était triste.
Faisait la moue.
Faisait glisser une main de brume sur cette plage de cailloux.
J’étais évidée.
Comme le sol.
A certains endroits de ma langue et de mon vocabulaire.
Je perdais les mots que je cherchais pour ne pas taire.
Un espace de lutte entre les gravats et la terre.

Les arbres aux allures de carcasses
de bovins.
et pour quel charognard, le met, le pain.

Au fond
En fait
Tout ça est très bête.
Les images
Les regarder,
et notre façon d’y résister.
Nous révélons des peintures de colère
Et imaginons que le sol serait incapable de taire.
Nous dirait « tu vois, la Vie m’avait endormi
Et le silence. Je le gardais, comme il contenait tous les cris. »

A cet instant, pour nous deux,
Tout ça est très beau.

J’ai pensé saisir
encapturer deux fois
mes yeux – mes doigts.
Qu’il était encore temps de tout arrêter.
J’ai pensé, une seconde en un instant, c’est-à-dire du rêve, l’espace-temps.

Une famille d’arbres, séparée par une route-couloir,
En vis-à-vis, ils se regardent .
Ne sachant plus si l’autre est autre ou miroir.

Mâchoires décrochées
De la gueule d’un ogre
Par un coup décoché
Abandonnées à même le sol
Par des machines Terrenivores.

Tout se casse un peu la gueule sur un chantier.
Il faut être, au moins, un peu fou pour le bien déceler.

Ici, le dialogue des traces nous fait hésiter.
La machine ou le chien comme compagnon
de devoir et de fortune
pour d’infortunes histoires.
Ici, on vient chasser,
se promener est un luxe de temps passés.
On doit aller de l’avant, on ne comprend pas bien,
On est un peu lents, mais pas pantins.

En bord de route, les encombrants

on a balancé
la literie usée,
fatiguée des nuits sans rêves
et sans douceur.
D’attendre que le jour se lève
pour y plonger
une main de fer et des gants d’acier.
Dimanche repose et les engins, suspendus, à la trêve.
Les arbres veillent
surveillent
des monts sans merveilles.
dans leur couche, aplanis.
Un démon au visage vermeil coule dans son lit.
sur le feu des hommes.
Dimanche repose.
Éteindre les feux
Ou souffler sur la braise.
Rêver que le goudron disparaisse comme neige au soleil.
Des flocons de cendres, à découvrir, le matin au réveil.
Ils posent des tambours de visages, les mots-rebelion :
« Pollution AIR = 48 000 morts par an. »
Et tous ceux qu’on ne compte, des millions.

III. 27, 28 et 29 Mai 2022

Nouveau chantier.
De guerre lasse.
De guerre lente.
Éprouve nos nerfs.
Comme une brèche dans le silence.
Et le vent qui entre et gonfle
Les souvenirs et l’absence.
Ce n’est qu’une blague, un rire jaune
un rire blanc
couleur d’albâtre.
Que fait-on, encore
à chercher des témoins
à retenir la colère entre nos mains.

Au cœur d’un autre mystère,
dans la tête d’un être sourd.

Tu retiens et déborde.
Des sourires de dernier recours.
Fallait pas montrer les dents.
Fallait pas soustraire la vitesse au présent.
Comme des sols intra-terrestres,
Qui, de dessous la terre visible, font sable mouvant
Et déplacent la route de quelques centimètres.
Penser que partie gagnée c’est partir au chantier,
Jouer du pipeau des hommes et sonner le glas de la glaise et du gravât.

Le pont, qui fera route
pour biches et chevreuils
construit de cages à pierres, pour tenir décor,
Ont-ils pensé, le pont.

Si belle terre d’argent, comme Lune parée
Tu peux être fière et j’en suis désolée
Foulée sans regard.
La corde au cou ou le foulard,
Couleur drapeau de premier pas,
De l’homme sur l’endroit.
Ni séduit ni même impertinent
Qui caresserait
Tes pieds tes mains.
Nous nous tenions, en toi, abîmées.
De quel côté se place-t-on pour dire « observer » ?

Terre Rouge Feu
de baisers rouge sang
de lèvres mordues
comme celles d’amants.
Jusqu’au sang, morsures.
Terre de Feu, inonde nos yeux, ternit nos figures.

Sculptures au degré premier.

Empreintes de roues.
Pas de velours effacés
S’effondrent et regagnent
Les invisibles dessous
D’un sol déshabillé.
Je brûle encore de te regarder.

La nuit reflète encore, dans ces tranchées.
Nous avons parfois dit « c’est une catastrophe ».
Et je n’avais plus envie d’y songer.

L’image était violente.
Ces arbres faits brindilles géantes.
Secs comme un cœur perdu.
Condamné à attendre et se voir échouer au sol.
Je savais que des humains arrachaient leurs corps, sans peine.
Et la leur était silence.

Serpent de bois
couleur gris de mine
à quelques pas de toi
une poussière
couleur ocre d’abîme.

Terre de Fer
de Marbre et d’Argent.
Jusqu’où tu es ? Jusqu’où tu vas ? Mon esprit y descend.
Couchée, en rêve, dans ton corps. Je me confonds.
C’est rêver, nul autre,
qui m’assaille et me suspend.
J’entends le soir coulé
dans le matin
et le matin dans le noir
et la boucle des journées

aspire les idées d’espoir.
La nuit tombe, éteint un à un les derniers phares.
J’étais un peu jalouse, effrayée.
Savaient-ils qu’ici, et partout ailleurs,
la Terre demeure riche et première ?
d’un monde qui se retourne et plonge
pour ne pas se laisser briser
dans un vieux songe
de sommeil enneigé.
D’avant l’humain.

Dents à têtes de crocodiles.
dans l’espace, tapis,
comme de funestes vigies,
un peu trop dociles .

Les machines gigantesques,
perchées sur leurs disques,
impriment sur le sol un dessin de terreur.
Même à l’arrêt je n’aimais pas leur compagnie.

Des semblants de sommets
de « on dirait »,
comme un Mont Rushmore de parc miniature.
Desquels nous aurions sculpté
des têtes de « Pigeon ».
Pigeonneur pigeonné
morale de l’histoire :
tous, piégés.

L’environnement, n’en déplaise à ta publicité,
est un mot de Terre brûlée.
Danse, encore, le blé
Sous la providence du vent.

Apparu.
Le mirage d’un couple de visiteurs.
Disparu.

Tapis blanc déroulé
pour des noces de mariage arrangé .
Convenu que, les deux parties,
sans pour autant s’aimer, sauront se détruire et se blesser.

Avant la nuit de l’asphalte
Avant d’être recouverte.

Terre à découvrir.
Bradée et à saisir .
Pour un sac de grains
Et une poignée de mains.
Je ne peux même plus la leur reprendre.
C’est mon crâne, pour tes beaux yeux,
Que j’entends se fendre,
En lettre d’adieu.

Attachée à ce nouvel ici,
et à la peur comme à un pavé.
Lancé dans les près,
Explose milles vies à allure modérée.
Où, sournois, tu dévies.
Emporte avec toi, corde au cou,
le délire d’un roi qui, matin levant,
de plaisir s’ébroue
après avoir fait couper
les têtes de ses sujets.
La forêt, témoin et contrainte,

ne peut plus se nourrir
sinon de la mort étreinte.

IV. 13-14-15 janvier 2023.

Dans nos têtes, une nouvelle fois, déplier une carte .
Nous soustraire – nous conduire
Jusqu’à cette lande
Tatouée, couleur peau de cendres.
La brise s’élève et le souffle. Comme une prison.
Qui, de leurs lèvres, de leurs mains,
Ont levé une bobine de pensées.
Déraison.
œuvrant, et de leur cœur comme des absentés,
faire taire, faire tas et charniers.
A tâtons – dans le noir
Du regard, nous nous croisons,
Cherchons tout ce qui ferait
Sépulture ou œuvre de mémoire.

C’est la caresse du vent. Les cheveux, les racines.
Tout confondu. Le froid qui saisit et anime.
Et nous nous enfonçons, silencieuses amies,
Dans l’argile.

Trinquons à la dernière coupe.
A la santé de cette souche.
Avant sa dernière nuit.
Et ces monts, en petits tas de mépris.

Bison de souche,
Disons que tu te couches,
Et s’il est un rêve, celui d’un pré
Où les bois seraient voiliers du monde.
Traverser le vent sifflerait un poème fragile
Sans fracas, sans déchirement.
Et ta bosse qui roule comme une lettre
Coincée dans le ventre d’un mot.
Tombe la saison du trépas
Et d’un éternel repos.

La route siffle.
En quête de grandes réunions,
De conciliabules à la cime.
« On veut des trains »
Du temps, de la joie, et du pain.

Le corps au vent
L’arbre-oiseau
Déploie ses ailes comme des voiles
Suspendues, déposées, sur la transparence du matin.

Moderne complainte.
Sortie de route
Pour faire Escale.
Un rien déchirerait le voile
L’instant n’est que doute
De voir apparaître
Quelque chose quelqu’un
Tout le monde aurait fui
C’est-à-dire, même les humains.

Il y a aussi cet autre bestiaire
Né de la joie du récit
Et c’est avec la lumière, de dessous les ongles
Que nous grattons la terre.
La pellicule du temps échoue
Comme un manteau d’hiver.
A la délicatesse de ces épaules,
On devine la naissance et le feu d’un grand Tout,
Parfait de lenteur et de paresse.
S’arrêter, revoir nos mains.

Tu as rêvé une grande marche des fragiles.
Contre les puissants, les colosses au cœur d’argile.
Mains aux bâtons
Nous nous déguiserions
En lérots et perdrix
En haies et talus.
La fantaisie comme salut
Et, un jour, plonger dans ce rêve car
Il faudra bien

Reprendre la Terre
La Vie
Aux machines.
Marcher lentement. Et tonner le sol de nos colères.
Garder le sourire car nous aimons
Avec toujours plus de fièvre
Composer la partition du monde
d’un regard mutin et solidaire.

Nationale 164
Reportage photographique d’Ingrid Borelli
Texte de Victoria Gravelat.